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THIBAUDET ALBERT (1874-1936)

Avant tout critique littéraire, Albert Thibaudet est l'un de ceux qui eurent le plus d'influence sur ce qui s'est écrit en France au cours de l'entre-deux-guerres. Ce puissant Bourguignon, ancien élève de Bergson, débute dans le monde des lettres comme dramaturge : Le Cygne rouge (1897) est un drame symboliste en vers et en prose, où se manifeste continuellement l'influence de Mallarmé. Poète, Thibaudet n'obtiendra pas beaucoup de succès ; très rapidement, il s'oriente donc vers la forme de l'essai et vers la critique. Dans Les Images de Grèce, il rapporte ses réflexions à la suite d'un voyage, et, en 1912, il publie son premier ouvrage de critique, La Poésie de S. Mallarmé, où s'organise et se met à l'épreuve (parfois au détriment de Mallarmé) sa méthode critique. Fortement influencé par Bergson, il tente d'appliquer la doctrine bergsonienne de l'intuition à l'œuvre littéraire. Pendant vingt ans, à partir de 1912, c'est lui qui tiendra la rubrique de critique littéraire à la N.R.F., et, dans de longs articles pleins de formules et de trouvailles, il développe sa volupté de lecteur. Selon lui, la critique correspond au plaisir de lire, et c'est d'abord ce plaisir que le critique doit communiquer, pour que chacun puisse ainsi goûter la littérature. Chez cet homme d'une immense érudition, et qui a écrit des essais sur Thucydide, sur Bergson, sur les partis politiques en France, le savoir s'efface complètement derrière la sympathie dès qu'il s'agit de littérature. Il écrit de façon originale sur Flaubert (1922), sur Stendhal, sur Barrès, sur Valéry, et ses Réflexions sont réunies en quatre volumes, publiés entre 1938 et 1941. Thibaudet y dessine de vastes avenues à travers la littérature, classant, situant, comme sur un atlas, les courants et les générations. C'est cette même démarche qui fonde son Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours, publiée l'année de sa mort. Cette méthode critique de la sympathie et du plaisir est aujourd'hui un peu tombée dans l'oubli. Elle avait pourtant le grand mérite d'associer le savoir et le goût : c'est la critique d'un savant, ou d'un professeur, et d'un écrivain tout à la fois ; depuis lors, le fossé n'a cessé de se creuser entre ces diverses écritures.

— Antoine COMPAGNON

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université Columbia, États-Unis

Classification

Pour citer cet article

Antoine COMPAGNON. THIBAUDET ALBERT (1874-1936) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE et RÉFLEXIONS SUR LA POLITIQUE (A. Thibaudet)

    • Écrit par Marc CERISUELO
    • 975 mots

    Il y eut des critiques heureux. La littérature secondaire n'a pas toujours été considérée comme le tombeau de l'inspiration ou – au contraire ? – comme sa légitime « relève ». Parce qu'il avait lui-même pensé, avant tout ses successeurs, le devenir particulier de cette étrange pratique – être toute...

  • CRITIQUE LITTÉRAIRE

    • Écrit par Marc CERISUELO, Antoine COMPAGNON
    • 12 918 mots
    • 4 médias
    Aux études historiques, qu'il ne juge pas inutiles mais dont il déplore le caractère statique, Albert Thibaudet, marqué par Bergson, veut substituer une analyse du mouvement de la création, par une méthode intuitive et métaphorique. Avec Charles Du Bos, cette mobilité critique devient une soumission...
  • FRANÇAISE LITTÉRATURE, XIXe s.

    • Écrit par Marie-Ève THÉRENTY
    • 7 758 mots
    • 6 médias
    Albert Thibaudet a écrit que le roman était « le genre triomphateur du xixe siècle ». Peu légitime à l’orée du siècle parce qu’il touchait principalement un public de lectrices séduites par le rocambolesque et le sentimental, il connaît plus de succès qu’aucun autre genre auprès du public qui se...